Conservation, élevage, sélection et biodiversité de l'abeille noire européenne.

La zone de protection de Chimay – Momignies

Chimay est une ville wallonne située dans le sud de la province de Hainaut, non loin de la frontière française. Chimay est réputée pour son fromage trappiste et sa bière brassée à l’abbaye de Forges-les-Chimay.

Une décision remarquable !

Chimay développe aussi une politique de mise en valeur de son patrimoine naturel. Dans ce contexte, le Conseil communal a décidé l’instauration d’une zone de protection pour l’abeille noire (Apis mellifera mellifera). Ainsi, depuis le 16 décembre 2004, cette abeille est la seule dont l’élevage est permis sur le territoire de l’entité communale. Cette décision est tout à fait novatrice et inédite en Belgique.

Les apiculteurs chimaciens et les 350 membres de l’ASBL Mellifica font le pari de pratiquer une apiculture « grandeur nature » ; ils sont heureux de pouvoir utiliser une race qui fait partie de leur patrimoine régional (c’est un peu comme le retour aux anciennes variétés fruitières) et de contribuer ainsi au maintien de la richesse de la nature.

Le plus important est sans doute que tous les apiculteurs soient convaincus du bien-fondé d’un tel projet. Notre passion commune pour l’abeille doit nous réunir derrière des projets mobilisateurs et porteurs de sens au bénéfice de tous, quelle que soit la race d’abeilles utilisée.

Zone de protection de Chimay

Un peu d’histoire

En Belgique, l’abeille noire (Apis mellifera mellifera) est l’abeille indigène, celle qui vit depuis toujours chez nous et qui fait partie de notre patrimoine naturel. Déjà au XIXe siècle, les apiculteurs s’intéressent aux races allochtones et commencent à importer des reines en grand nombre, surtout en provenance d’Italie. La présence dans une même zone d’abeilles de races différentes entraîne l’apparition d’abeilles croisées qui ont tendance à remplacer petit à petit l’abeille indigène. C’est ainsi que dans une partie non négligeable de son aire de répartition, l’abeille noire est menacée de disparition.

La région de Chimay a échappé en partie aux importations massives ; les apiculteurs de cette région ont surtout retenu de leurs expériences l’agressivité exacerbée de leurs abeilles après des importations, phénomène bien connu en cas de croisement avec l’abeille noire.

La dernière vague d’importations liée à l’abeille Buckfast a très peu touché le pays de Chimay. Dès 1983, l’école d’apiculture du sud-Hainaut installée à Chimay a sensibilisé les apiculteurs et les a formés dans la perspective de la conservation de l’abeille locale. Ainsi, l’histoire du Pays de Chimay se décline depuis longtemps sur le mode « abeille noire ». L’idée d’une zone de protection a fini par s’imposer au groupe d’apiculteurs rassemblés aujourd’hui au sein de l’ASBL Mellifica.

En 2003, l’association prend contact avec le Bourgmestre et l’Echevin de l’environnement de la ville afin de les informer et de les sensibiliser à cette opportunité de développer à Chimay un projet très concret en faveur de la biodiversité et de l’abeille noire.

Chimay est une ville située en zone rurale et la réputation de sa bière et de son fromage dépasse les frontières du pays. La qualité de ses produits, de son environnement et de son patrimoine naturel remarquable sont des valeurs que la Ville tente de promouvoir, notamment pour développer le tourisme. Le projet « abeille noire » a été présenté par Mellifica dans le cadre de cette stratégie de mise en valeur du terroir chimacien.

L’accueil des édiles communaux fut immédiatement chaleureux et enthousiaste ! Une méthode de travail a été définie de commun accord afin que le projet soit défendable sur le plan politique. Une année complète a été consacrée à l’information de tous les apiculteurs de l’entité, notamment par l’intermédiaire d’articles dans la presse régionale et de réunions d’information ; chaque apiculteur recensé par l’association a été rencontré personnellement.

A la fin de l’année 2004, tous les apiculteurs sans exception avaient signé la pétition demandant à la ville de faire de son territoire une zone réservée exclusivement à l’élevage de l’abeille noire. Tout a alors été très vite. Ce fut chose faite le 16 décembre 2004 par le vote d’un règlement communal qui se réfère largement à la convention de Rio sur la diversité biologique.

Plus tard, les apiculteurs de la commune de Momignies ont voulu suivre l’initiative de Chimay pour bénéficier aussi d’un statut de zone protégée. Cela se justifie puisque les études scientifiques ont été menées également sur cette commune et que la population d’abeilles noires y est identique. C’est ainsi qu’en 2015, la commune de Momignies a adopté un règlement de protection identique à celui de Chimay, portant ainsi la zone protégée à une superficie d’environ 300 km2.

Zone de protection de Chimay – Momignies

Pourquoi une zone protégée ?

Conserver la diversité de la nature

La diversité de la nature est indispensable au maintien des équilibres naturels et donc à la survie de l’homme sur Terre. L’abeille est une composante importante de la diversité et, à ce titre, il faut veiller à maintenir un maximum de diversité naturelle chez cette espèce. La diversité de l’abeille est aussi indispensable à la survie de l’apiculture.

La région de Chimay a échappé en partie aux importations massives et l’abeille de cette région est restée très proche de l’ancienne abeille noire comme l’indiquent les recherches d’un généticien français, L. Garnery. Chimay – Momignies se présentent donc comme un endroit idéal pour prendre une initiative en faveur de la biodiversité de l’abeille.

Se conformer aux textes internationaux et européens

Les textes internationaux prévoient explicitement des mesures de protection. Ainsi, la convention de Rio sur la diversité biologique, en son article 8, demande expressément la mise en place de zones de conservation in situ ; de même, la stratégie communautaire en faveur de la diversité biologique demande aux états membres de l’UE de « prendre des mesures afin de préserver le capital génétique des espèces sauvages et domestiquées et de prévenir les processus d’érosion génétique ». Enfin, pour la pratique de l’apiculture biologique, l’Union européenne plaide en faveur de l’utilisation des races indigènes.

Un plan d’action local

C’est notamment sur la base de ces textes que la Ville de Chimay et Momignies ont voté un règlement favorable à l’abeille noire ; cette abeille fait partie du patrimoine naturel que la ville entend valoriser dans le cadre de sa stratégie de développement ; cette dernière est basée sur des produits issus d’un terroir de qualité (bières et fromages) et sur une nature riche et diversifiée, condition requise pour l’accueil touristique.

Cette décision repose évidemment sur un programme de travail mené dans la région par l’association Mellifica. Elle repose aussi sur la volonté des apiculteurs locaux de préserver leur abeille. A l’époque, tous les apiculteurs de Chimay, connus des associations apicoles et de Mellifica, ont été rencontrés et ont manifesté leur volonté de soutenir la décision de la ville.

Indispensable pour les apiculteurs !

L’avantage d’une zone de protection est immédiat pour les apiculteurs. Ils sont protégés de la venue d’abeilles de race allochtone, et donc de croisements qui sont souvent plus désagréables qu’avantageux.

Mellifica tire parti de cette situation privilégiée pour proposer aux apiculteurs une station de fécondation où ils peuvent produire des reines d’abeille noire dans un environnement protégé. La station est accessible à tous les apiculteurs ; elle est ainsi fréquentée par des apiculteurs allemands, hollandais et français.

Mais la portée d’une telle décision dépasse le niveau local. Par sa valeur hautement symbolique, cette mesure pourra rayonner et concrétiser son potentiel de sensibilisation bien au-delà de la zone protégée. Notre matériel biologique – les nombreuses races, écotypes ou populations régionales – est très riche, mais il est aussi très fragile. Il est capital de sensibiliser les apiculteurs à cette problématique et de prendre des mesures concrètes.

Aujourd’hui et encore plus demain, ce patrimoine collectif sera mis à contribution.  Par exemple en matière de varroase, la biodiversité de l’abeille est tout simplement passée au crible de l’observation pour tenter d’y découvrir des caractères qui permettraient à nos abeilles de vivre sans préjudice en présence de varroa. Et cela fonctionne ! Par exemple avec le caractère VSH sur lequel travaille Mellifica, mais aussi pour d’autres caractères plus ou moins connus.

L’avenir nous réserve encore bien d’autres situations pour lesquelles la solution pourra venir de l’utilisation judicieuse de la biodiversité. Et de manière plus générale, les apiculteurs ne pourront continuer à « faire de la sélection », sans programmes de conservation opérationnels. En un mot, sauver la biodiversité, c’est prendre une assurance-vie pour le futur. Les nombreuses pistes qui conduisent à l’apiculture soutenable, c’est-à-dire celle de demain, passent aussi par la conservation des races d’abeilles, de toutes les races d’abeilles. Ce travail de conservation est réalisé au bénéfice de tous les apiculteurs, y compris et surtout au bénéfice de ceux qui font de la sélection et/ou utilisent des races sélectionnées.

Les enjeux

Les enjeux d’une telle action ne sont pas toujours évalués à leur juste mesure. Les nombreux messages, en tous sens, reçus après la décision de Chimay le montrent bien. Comme le disait l’un d’eux, sans doute le plus visionnaire, « au moment où de nombreuses espèces disparaissent chaque année, arriver à en protéger une tient de l’exploit ». C’est bien là que se trouve le nœoeud du problème : indispensable au maintien des équilibres naturels et à la survie de l’Homme sur Terre, la diversité de la nature se détériore à vue d’œoeil. La motivation profonde des responsables de l’association Mellifica se nourrit de la volonté d’inverser cette tendance et de pratiquer une apiculture en harmonie avec la nature.

Dans cette perspective, l’élevage de l’abeille noire et la mise en valeur de sa biodiversité s’imposent aux apiculteurs belges puisque ceux-ci pratiquent leur activité dans l’aire de répartition naturelle de cette race. Comme chacun sait, des croisements continus avec une autre race ont un impact désastreux sur sa survie à long terme. En réservant son territoire à l’élevage de la race indigène et en s’engageant aussi fermement dans la défense de son patrimoine naturel, la Ville de Chimay et la commune de Momignies ont pris une mesure exemplaire.