Conservation, élevage, sélection et biodiversité de l'abeille noire européenne.

La conférence de Stockholm sur l’environnement (1972) a provoqué une prise de conscience des limites du développement industriel, y compris en agriculture. L’uniformisation des systèmes de production (par exemple quelques lignées de volailles au niveau mondial) les rend très fragiles. Des menaces pèsent sur le patrimoine génétique de la biosphère toute entière

La conférence de Stockolm a donné de l’impulsion à des programmes d’étude et de conservation des races animales et végétales au niveau international. La nécessité du maintien de la diversité biologique est donc devenue un nouvel enjeu national et international. La conférence de Rio (1992) n’a fait que confirmer, structurer et renforcer cette tendance. Alors que tous les secteurs travaillent à la conservation de leurs ressources génétiques, les apiculteurs seraient-ils assez inconscients pour ne pas le faire ?

C’est surtout pour des caractères que l’on a ni étudiés, ni remarqués que les ressources génétiques peuvent potentiellement s’avérer précieuses. La diversité génétique doit être de mieux en mieux comprise comme un facteur essentiel de souplesse permettant aux systèmes de s’adapter. De nombreuses incertitudes pèsent aujourd’hui sur l’avenir, tant en ce qui concerne la nature des produits commerciaux qui seront demandés que les milieux ou les systèmes d’exploitation dans lesquels cette production s’effectuera.

Rien ne dit que les races locales répondront à coup sûr aux exigences de demain, mais leur originalité génétique pourrait un jour constituer un véritable atout.

L’abeille indigène constitue un patrimoine irremplaçable

La mise en place de l’abeille noire et des autres races par la nature a pris des milliers d’années. Jamais ce travail ne pourra être refait. Lorsqu’une race indigène disparaît, c’est pour toujours ! Il s’agit donc d’appliquer le principe de précaution : on ne sait pas ce que l’on perdrait si, par exemple, l’abeille noire venait à disparaître. Il faut donc tout mettre en oeuvre pour la conserver.

Conserver l’abeille indigène, c’est prendre une assurance pour l’avenir

La plupart des apiculteurs se demandent si la conservation de la biodiversité est vraiment un problème incontournable, ou s’il s’agit seulement du rêve de quelques scientifiques ou d’apiculteurs rétrogrades. La réponse nous a été fournie de manière éclatante au mois de juin 1992 lors du sommet de la Terre à Rio. Le fait que plus de cent chefs d’état et de gouvernement se soient réunis à Rio pour mettre au point une convention sur la conservation de la biodiversité indique bien qu’il s’agit d’un problème de première importance au niveau planétaire. Et le fait que certains pays, tels les USA, aient refusé de signer le document final indique clairement les enjeux économiques résultant de l’exploitation de ces ressources.

Revenons à l’apiculture. La diversité biologique constitue une base de travail pour l’amélioration et la sauvegarde de l’abeille de demain; cette base de travail doit être la plus large possible pour offrir un maximum de chances de succès. L’abeille Buckfast en est un exemple démonstratif : son existence est intimement liée à l’utilisation rationnelle de la biodiversité de l’abeille par le frère ADAM et ses successeurs ! Et l’évolution future de la Buckfast est liée à la conservation de toutes les autres races d’abeilles. Il existe d’autres exemples, même en dehors des multiples cas d’hybridation (hybrides « trois voies INRA », italo-caucasiens…) et des recherches sur l’utilisation des hybrides F1 dont chaque apiculteur a entendu vanter les mérites (ou défauts !).

La biodiversité chez l’abeille, c’est aussi une mine inépuisable de caractéristiques encore inexploitées et souvent inconnues. Les Américains, par exemple, ont effectué une mission de prospection au Royaume-Uni en espérant ramener chez eux des souches d’abeilles noires anglaises résistantes à cette parasitose.

L’apparition de la varroase amène les chercheurs à explorer la biodiversité de l’abeille en vue d’y trouver des souches résistantes. On observe, de fait, une certaine variabilité de la durée d’operculation ou de l’attractivité du couvain pour varroa : sans aucun traitement, certaines colonies sont beaucoup moins parasitées que d’autres. Les comportements hygiéniques et VSH sont d’autres exemples. Ces caractères héréditaires pourront être intégrés dans des programmes de sélection. Voici donc des exemples tout à fait d’actualité relatifs à l’exploitation de la biodiversité de l’abeille; ils seront à coup sûr de plus en plus nombreux à l’avenir. Insistons encore sur deux questions primordiales :

  • on ne crée pas la biodiversité; on est simplement réduit à exploiter ce qui existe déjà (ou plutôt encore !) dans la nature;
  • l’inventaire des caractéristiques intéressantes de chaque race n’est pas réalisable « a priori ». Ainsi, avant l’apparition de la varroase, personne ne pouvait faire état des mécanismes de résistance de l’abeille découverts aujourd’hui.

La conservation de la biodiversité apparaît bien comme une assurance pour l’avenir. On ne sait pas aujourd’hui ce dont on aura besoin demain : le principe de précaution impose donc de conserver un maximum de ce qui est encore disponible.

La diversité génétique doit être de mieux en mieux comprise comme un facteur essentiel de souplesse permettant aux systèmes de s’adapter, notamment par l’amélioration des races actuelles. Dans ce contexte, il va de soi que des mesures de conservation de la diversité biologique s’imposent d’urgence pour assurer un avenir radieux à l’apiculture. L’abeille noire et ses différentes populations doivent impérativement être protégées (ceci est aussi vrai pour les autres races). Le frère ADAM lui-même n’écrit-il pas : « ce serait une perte irréparable si, malgré ses graves défauts, l’abeille indigène française venait à succomber dans le courant actuel de l’abâtardissement débridé ».

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L’abeille indigène est un héritage naturel et culturel

Les différentes races d’abeilles, au même titre que les autres espèces et que la nature en général, font partie d’un patrimoine commun reçu en héritage des générations qui nous ont précédés. Au même titre que les monuments historiques, que les grands ensembles architecturaux ou encore que les sites paysagers, le capital biodiversité de l’abeille doit être conservé de façon à le transmettre aux générations futures.

Assez bizarrement, chacun est prêt à se battre pour la conservation d’une petite chapelle, d’une croix perdue dans la campagne ou de tout autre élément de notre patrimoine rural ou culturel. En cas de problème, ces éléments peuvent pourtant êtres réparés ou restaurés, voire reconstruits de toutes pièces. Par contre, rares sont les apiculteurs sensibilisés à la conservation d’une race, alors que ce patrimoine ne peut ni être remplacé, ni reconstruit et qu’il est le fruit d’un processus naturel unique qui a duré des milliers d’années.

L’abeille indigène est adaptée à un système apicole

De nombreux apiculteurs – ils sont d’ailleurs les plus nombreux chez nous – souhaitent pratiquer une apiculture tranquille avec une abeille qui se développe naturellement bien et qui réclame un minimum de soins. L’abeille indigène, très rustique, leur est tout a fait recommandée. Elle permet de produire du miel de manière régulière avec un minimum d’entretien et de surveillance. En Belgique, l’abeille noire est donc l’abeille idéale pour bon nombre d’apiculteurs. Elle présente de réelles qualités zootechniques. Elle est d’ailleurs utilisée par de nombreux professionnels pour ces qualités. L’abeille noire est une race importante au niveau économique.

L’abeille indigène permet de pratiquer une apiculture en harmonie avec la nature

L’apiculture est une activité « écologique » de par le rôle de l’abeille dans la pollinisation. Participer à la conservation de l’abeille indigène apporte une dimension supplémentaire et valorisante à laquelle ne peuvent prétendre ceux qui élèvent d’autres races que la race indigène.

Ainsi, élever une autre race dans la zone d’indigénat de l’abeille noire, c’est contribuer à détruire l’abeille noire (croisements, métissage). Il est évident que si la majorité des apiculteurs élèvent une autre race que la noire en Belgique, celle-ci disparaîtra de Belgique, et avec elle un pan entier de la biodiversité de l’abeille (la population de Chimay est une lignée évolutive différente des lignées étudiées en France).

Surtout pour les apiculteurs qui ne vivent pas de leur activité, il est difficile d’imaginer que l’apiculture soit une cause supplémentaire de destruction de la nature !